Antananarivo, la capitale malgache, s’apprête à vivre ce jeudi 25 septembre une journée à haut risque. Malgré l’interdiction officielle prononcée par le préfet de police, Angelo Ravelonarivo, plusieurs collectifs citoyens ont confirmé leur intention de manifester sur le très symbolique rond-point d’Ambohijatovo.
Au cœur de la colère : les délestages électriques incessants et les coupures d’eau récurrentes, devenus insupportables pour une population déjà fragilisée par une crise socio-économique profonde. Mais derrière ce motif immédiat, c’est un mécontentement politique et social beaucoup plus vaste qui semble s’exprimer.
Une interdiction stricte et un dispositif policier inédit
Dès le début de semaine, le préfet d’Antananarivo a fait savoir qu’aucune manifestation ne serait tolérée. Sa décision s’appuie sur des risques d’atteinte à l’ordre public, dans un contexte où les appels à descendre dans la rue se sont multipliés sur les réseaux sociaux.
Pour faire respecter l’interdiction, un dispositif sécuritaire exceptionnel a été annoncé :
- Déploiement massif des forces de l’ordre dans la capitale,
- Renforts acheminés depuis Ambositra, Antsirabe et Moramanga,
- Multiplication des barrages filtrants pour bloquer tout accès au rond-point d’Ambohijatovo, lieu traditionnel des contestations politiques à Madagascar.
Cette démonstration de force traduit la volonté du régime d’éviter tout débordement. Mais paradoxalement, elle pourrait contribuer à radicaliser davantage les manifestants, qui voient dans ces mesures une forme d’intimidation.
Un mouvement né du délestage, devenu symbole de colère sociale
À l’origine, l’appel à manifester provenait des collectifs « Tsy manaiky lembenana » (« Nous n’acceptons pas l’injustice ») et « Leo délestage » (« Marre des coupures »). Leur objectif : dénoncer l’impact des coupures de courant et d’eau sur la vie quotidienne des familles et sur l’économie locale.
Mais très vite, la grogne a dépassé le simple cadre énergétique. Sur les réseaux sociaux, de nombreux citoyens relaient un ras-le-bol général :
- inflation et chômage persistants,
- corruption perçue comme endémique,
- sentiment d’abandon par les autorités,
- frustrations liées à la gouvernance actuelle.
Ce mouvement devient ainsi le catalyseur d’une contestation plus large, qui met directement en cause la légitimité du pouvoir.
Une polarisation dangereuse : pro-régime contre opposants
Face à la montée en puissance de cette mobilisation, les partisans du régime ne restent pas inactifs. Plusieurs groupes proches du pouvoir se préparent à occuper le terrain pour contrer les manifestants.
Le gouverneur d’Analamanga, Hery Rasoamaromaka, a reconnu l’existence de ces partisans et tenté d’appeler à la retenue. Mais dans les coulisses, la menace d’un recours à des « gros bras » pour dissuader les contestataires circule largement. Ce climat de défiance fait craindre des affrontements violents entre camps opposés, en plein cœur de la capitale.
La présence accrue des forces de l’ordre, déjà sur le qui-vive, ne fait qu’ajouter à la tension. Antananarivo se retrouve ainsi dans un équilibre instable, où la moindre provocation pourrait suffire à déclencher des heurts.
Une opposition déterminée à maintenir la pression
Du côté des élus d’opposition, la détermination reste intacte. Le député du IVᵉ arrondissement, Désiré Rafidimanana, a publiquement dénoncé une « tentative d’intimidation » du régime. Pour lui, l’interdiction préfectorale ne doit pas empêcher les citoyens de faire entendre leur voix.
Les organisateurs ont fixé un premier rendez-vous à 11 heures, suivi d’une seconde manifestation à 17 heures. Cette double mobilisation illustre leur volonté d’inscrire le mouvement dans la durée et d’empêcher le pouvoir de tourner la page trop vite.
Des commerçants d’Analakely vent debout
Un autre acteur entre dans la danse : les commerçants du centre-ville, notamment ceux du quartier très fréquenté d’Analakely. Hostiles aux manifestations, ils redoutent les conséquences économiques d’une paralysie urbaine. Certains d’entre eux menacent même de s’opposer physiquement aux manifestants pour défendre leurs activités.
Cette opposition frontale entre citoyens mobilisés et commerçants inquiets pourrait ajouter une nouvelle source de tension, dans un climat déjà explosif.
Une crise qui dépasse le terrain national
La communauté internationale, attentive aux équilibres politiques de l’océan Indien, observe avec attention la situation. Madagascar, partenaire régional stratégique, vit un moment charnière.
Cette journée du 25 septembre pourrait devenir un tournant politique et social majeur, révélant au grand jour la fragilité de la gouvernance actuelle et l’ampleur des fractures au sein de la société malgache.
Une capitale sous étroite surveillance
Pour les habitants d’Antananarivo, ce jeudi s’annonce comme une journée exceptionnelle. Entre barrages sécuritaires, rassemblements populaires et menace d’affrontements, la vie quotidienne pourrait être fortement perturbée.
Au-delà du simple enjeu énergétique, la manifestation d’Ambohijatovo symbolise la colère d’un peuple et l’usure d’un modèle politique. Chaque acteur – citoyens, opposants, partisans du régime, forces de l’ordre, commerçants – joue désormais une carte décisive dans l’évolution de la crise.
Dans ce contexte, la moindre étincelle pourrait embraser Antananarivo et marquer durablement l’histoire politique récente de Madagascar.
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