Les bébés à 6 doigts sont des « devineurs »

Dans de nombreuses cultures, la naissance d’enfants porteurs de doigts surnuméraires suscite autant la curiosité que la peur. En société créole à La Réunion, comme dans d’autres régions d’Afrique et d’Asie, ces naissances étaient souvent perçues à travers une lentille mystique : signe de destin puissant, devin ou sorcier, presage de bon ou de mauvais augure. Mais qu’en dit la science aujourd’hui, et comment se situe cette croyance dans le monde médical et anthropologique ?

Polydactylie : aspects médicaux

La polydactylie (présence d’un ou plusieurs doigts ou orteils supplémentaires) est l’anomalie congénitale la plus fréquente des membres.

Types et fréquence

• On distingue plusieurs types : pré-axiale (doigt supplémentaire du côté du pouce), post-axiale (du côté du petit doigt ou du petit orteil), ou encore centrale.
• La forme la plus fréquente est la polydactylie post-axiale, particulièrement chez les populations d’origine africaine, souvent isolée (sans autres anomalies associées).

Causes

• Dans de nombreux cas, il s’agit d’un trait génétique transmis selon un mode autosomique dominant avec pénétration variable.
• Parfois, la polydactylie s’inscrit dans un syndrome plus complexe, associé à d’autres malformations.

Diagnostic et traitement

• Le diagnostic peut parfois être posé dès l’échographie anténatale. Après la naissance, une radiographie permet de savoir si le doigt surnuméraire est attaché par os ou seulement par tissu mou.
• Le traitement dépend de la forme :
    • Un doigt “flottant” sans os, relié par tissu mou, peut être retiré très tôt, parfois par ligature ou cautérisation suivie de chute naturelle.
    • Si le doigt est osseux ou structuré, une chirurgie orthopédique est nécessaire, souvent dans la première année de vie.

Croyances culturelles : quand l’invisible modèle le visible

Dans la société réunionnaise ancienne, comme le décrit Laurence Pourchez dans Grossesse, naissance et petite enfance en société créole (CRDP Réunion – Karthala), ces naissances dépassaient le cadre strictement médical.

• Les doigts surnuméraires étaient souvent perçus comme symbole mystique. Certains les voyaient comme traits de voyants ou “devineurs”, personnes capables de percevoir ou prédire l’inconnu.
• Ces naissances étaient parfois vécues comme un mauvais présage. La mère, souvent, portait le blâme social. si la malformation était visible, on craignait les jugements ou l’ostracisme.
• Pour conjurer le sort, des pratiques rituelles existaient : matrones utilisant des fils de coton pour ligaturer le doigt en excès, jusqu’à ce que le doigt se dessèche puis tombe — une méthode artisanale sans assistance médicale, risquée.

Crossexamen : tradition vs modernité

La science moderne reconnaît la polydactylie comme malformation traitable, souvent sans séquelle si la prise en charge est effectuée tôt. Mais l’héritage culturel perdure. À La Réunion, des parents continuent parfois de dissimuler la malformation ou de préférer des remèdes traditionnels par crainte du regard de la communauté.

Le gap entre culture et médecine pose des défis : compréhension du diagnostic, acceptation du traitement, sensibilisation, respect des croyances tout en garantissant la santé et la dignité de l’enfant.

Implications pour aujourd’hui

• Il est essentiel de promouvoir l’information médicale auprès des familles — expliquer ce qu’est la polydactylie, que ce n’est pas un fléau mystique mais une anomalie fréquente et le plus souvent corrigible.
• Encourager un accompagnement respectueux des croyances tout en orientant vers une prise en charge sécurisée.
• Favoriser la formation des professionnels de santé sur les aspects culturels des naissances et malformations, pour pouvoir dialoguer sans rejet.