Il est des affaires qui, plus qu’un scandale, deviennent un miroir impitoyable pour une nation.
L’affaire Mamy Ravatomanga, cet homme d’affaires malgache soupçonné d’avoir fait transiter des flux financiers opaques par l’île Maurice, en fait partie.
Derrière ce nom désormais associé à des milliards de roupies gelés par la Financial Crimes Commission (FCC), se dessine une question plus vaste : le système financier mauricien peut-il encore s’auto-contrôler ?
Cette affaire, qui mêle transferts transfrontaliers vers Dubaï et Singapour, sociétés-écrans et structures offshore complexes, n’est pas un incident isolé. Elle révèle un mal profondément enraciné : une culture de l’opacité institutionnelle, où les gardiens de la transparence sont parfois devenus complices ou passifs.
Un système conçu pour l’opacité
Le premier constat qu’aurait dressé un forensic accountant indépendant serait celui d’un système capturé par ses propres institutions. Maurice, longtemps vantée comme une juridiction stable et exemplaire dans la région, a vu ses piliers – la Banque de Maurice (BoM), la Financial Services Commission (FSC) et la Mauritius Investment Corporation (MIC) – s’enliser dans un écosystème de complaisance et d’auto-surveillance.
La Banque de Maurice et la MIC : une dérive interne
La BoM, censée incarner la stabilité, a elle-même enfanté un monstre : la Mauritius Investment Corporation (MIC). Cette entité, créée sous couvert d’investissement stratégique, s’est retrouvée mêlée à des décisions opaques, notamment la valorisation controversée d’une société hôtelière.
L’incarcération récente de l’ancien gouverneur de la BoM pour détournement de fonds à la MIC n’est pas une simple bavure : c’est le signe que le cœur du système est gangrené.
La FSC et le Global Business : la complaisance érigée en modèle
De son côté, la FSC, régulateur du secteur Global Business, peine à imposer les standards internationaux.
Depuis l’affaire Álvaro Sobrinho en 2018 — où un refus de licence bancaire par la BoM avait été contourné grâce à des passe-droits et des cadeaux onéreux offerts à des fonctionnaires —, les signaux d’alarme s’accumulent.
Le secteur est devenu un labyrinthe réglementaire où l’illusion de la conformité masque la porosité des frontières entre argent propre et argent sale.
Le blanchiment ordinaire : quand l’argent sale trouve refuge
Cette configuration institutionnelle crée un environnement idéal pour le blanchiment.
Sous le vernis de la sophistication légale, l’argent sale se recycle tranquillement : il transite par les banques locales, change de forme et repart vers des paradis fiscaux plus opaques – parfois sous couvert de projets d’investissement fictifs.
Des affaires comme celle de la Silver Bank, ou les transferts suspects vers les îles Caïmans, illustrent cette mécanique. Prêts frauduleux, sociétés-écrans éphémères, opérations circulaires : la routine est devenue systémiquement dangereuse.
L’urgence d’une enquête forensique internationale
Face à ces dérives, l’absence d’une enquête forensique indépendante – menée par des experts internationaux disposant d’accès transnationaux – apparaît comme une faute politique majeure.
La FCC, malgré ses efforts, travaille dans un champ miné par les pressions et interférences.
Ce qu’une telle enquête aurait révélé
- Le démantèlement des structures de dissimulation :
 Une véritable équipe forensique aurait pu lever le voile sur les bénéficiaires effectifs réels dissimulés derrière les sociétés offshore. Les liens de Ravatomanga avec les Panama Papers auraient pu être tracés de manière incontestable.
- La cartographie des connexions politico-financières :
 Grâce au traçage des données et à l’analyse transfrontalière, les flux financiers suspects auraient pu être reliés à des décisions politiques ou réglementaires.
 Les arrestations de quelques ex-ministres ou gouverneurs ne seraient plus perçues comme des cas isolés, mais comme les maillons d’une chaîne de compromission entre hommes d’affaires, régulateurs et décideurs.
- L’évaluation des dommages systémiques :
 Une enquête indépendante aurait permis de mesurer l’ampleur réelle de la corruption :- efficacité du KYC (Know Your Customer) dans les banques,
- contrôle des déclarations de transactions suspectes (STR),
- et surtout, les carences chroniques de supervision de la FSC et de la BoM.
 
L’inaction a un coût : la crédibilité en chute libre
En refusant d’ouvrir une telle enquête, Maurice s’est condamnée à une crise de crédibilité multiple :
1. Doute sur la souveraineté
L’opacité persistante donne l’image d’un pays incapable de s’auto-nettoyer.
Les citoyens doutent de la volonté politique, tandis que les partenaires étrangers perçoivent une faiblesse institutionnelle inquiétante.
2. Fragilisation internationale
Bien que Maurice soit sortie des listes grises du GAFI et de l’Union européenne en 2022, la multiplication des scandales sape les efforts entrepris.
À l’approche du mid-term review de l’ESAAMLG en 2027, la place financière mauricienne risque de perdre la confiance des investisseurs internationaux.
Peu à peu, elle n’apparaît plus comme une place sûre, mais comme une autre juridiction africaine minée par la corruption.
Le courage de la transparence radicale
La crédibilité d’un centre financier repose sur la confiance — et la confiance ne se décrète pas, elle se prouve.
Maurice ne peut plus continuer à jouer sur deux tableaux : se présenter comme un hub financier moderne tout en tolérant les zones d’ombre.
Le coût de l’inaction est désormais supérieur à celui de la vérité :
- perte de réputation internationale,
- fuite des investisseurs légitimes,
- et cynisme croissant du public face à des institutions discréditées.
Une enquête forensique indépendante n’aurait pas détruit le système mauricien : elle l’aurait sauvé.
Elle aurait purgé les complicités, identifié les failles, et restauré la confiance dans l’État de droit.
Car au final, la vérité dérange, mais elle libère.
Et pour l’île Maurice, la transparence radicale pourrait bien être le seul rempart contre l’effondrement d’un système qui, à force d’auto-protection, s’est piégé lui-même.
 
						






















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