À La Réunion, où la dengue et le chikungunya continuent de frapper chaque année des dizaines de milliers de personnes, une expérimentation scientifique inédite a débuté fin août 2025. Ce projet, baptisé OpTIS (Opérationnalisation de la Technique de l’Insecte Stérile), pourrait représenter un tournant historique dans la lutte contre les moustiques vecteurs de maladies.
L’objectif est clair et ambitieux : réduire jusqu’à 90% la population de moustiques dans les zones concernées, en combinant deux méthodes innovantes : la technique de l’insecte stérile (TIS) et l’utilisation d’un larvicide de nouvelle génération, le pyriproxifène.
Pour La Réunion, où la lutte antivectorielle reste un combat quotidien, cette avancée pourrait changer la donne.
Le projet OpTIS : science et innovation au service de la santé
Le projet est porté par deux institutions de recherche majeures, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), avec le soutien actif de la mairie de Saint-Joseph, première commune pilote.
La méthode repose sur la libération dans l’environnement de moustiques mâles stériles. Ces insectes sont inoffensifs pour l’homme puisqu’ils ne piquent pas, mais leur rôle est crucial : en s’accouplant avec des femelles sauvages, ils empêchent la naissance de nouvelles générations.
Ce qui rend cette expérimentation unique, c’est l’imprégnation des moustiques avec le pyriproxifène, un larvicide biocide de troisième génération, utilisé à très faible dose. Ce produit agit sur les gîtes larvaires, empêchant les œufs et larves de se développer. L’association des deux techniques – stérilisation et larvicide – renforce l’efficacité et permet d’espérer une réduction massive et durable des populations de moustiques.
Une mise en œuvre progressive et rigoureuse
Les premiers lâchers ont commencé à Saint-Joseph, sur une surface de 60 hectares, avec une intensité de 1 000 mâles stériles par hectare et par semaine. Cette phase initiale durera six mois.
Dans un second temps, le dispositif sera étendu à une zone plus large de 175 hectares pour une durée de douze mois. Au total, l’expérimentation s’étendra sur 18 mois, jusqu’en février 2027.
Les chercheurs et les autorités locales vont mesurer deux aspects essentiels :
- l’efficacité réelle de la méthode dans les conditions réelles du terrain ;
- l’acceptabilité sociale, c’est-à-dire la perception et l’adhésion de la population à cette technique innovante.
Car si la science avance, la réussite dépend aussi de la confiance et de la participation active des habitants.
Une arme contre le moustique tigre… et au-delà
La cible principale de cette expérimentation est le moustique tigre Aedes albopictus, aujourd’hui principal vecteur de la dengue à La Réunion. Très présent dans les zones urbaines et périurbaines, il prolifère dans les moindres réservoirs d’eau stagnante.
Mais le projet ne s’arrête pas là : il pourrait également s’appliquer à Aedes aegypti, un autre moustique vecteur, responsable de la transmission du chikungunya et de la dengue dans de nombreux pays tropicaux. Les deux espèces partageant les mêmes gîtes larvaires, l’impact potentiel de la technique pourrait être encore plus vaste.
Un autre avantage majeur : cette méthode permettrait de réduire fortement le recours aux insecticides chimiques classiques, souvent utilisés à grande échelle mais aux conséquences environnementales lourdes. Moins de pollution, moins de toxicité pour les autres espèces, et une stratégie plus respectueuse de la biodiversité.
Une portée bien au-delà de La Réunion
Ce projet pilote réunionnais attire déjà l’attention bien au-delà de l’île. En France métropolitaine, où plusieurs cas autochtones de dengue et de chikungunya ont été recensés depuis 2025, l’idée d’appliquer la technique séduit. Plusieurs villes françaises se disent prêtes à l’expérimenter si les résultats réunionnais sont concluants.
D’autres territoires d’Outre-mer, également touchés par la recrudescence de ces maladies, observent attentivement l’expérimentation. La Réunion pourrait ainsi devenir un modèle et un laboratoire mondial dans la lutte antivectorielle du futur.
Une réponse à une urgence sanitaire mondiale
L’expérimentation intervient dans un contexte particulièrement préoccupant. L’année 2025 est marquée par une flambée des cas de dengue et de chikungunya à La Réunion :
- plus de 200 000 cas ont été recensés depuis janvier,
- une vingtaine de décès sont déjà attribués à ces maladies,
- la métropole est également concernée, avec plusieurs centaines de cas autochtones signalés dans différentes régions.
Face à cette progression alarmante, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le chikungunya comme menace sanitaire mondiale. Plus de 5 milliards de personnes dans 119 pays sont désormais exposées à ces virus, une situation aggravée par le réchauffement climatique et la mondialisation, qui favorisent la propagation des moustiques vecteurs.
Un tournant possible dans la lutte antivectorielle
L’expérimentation OpTIS n’est pas qu’un projet scientifique : c’est un espoir concret pour des millions de personnes.
- Espoir de réduire la souffrance liée aux maladies, aux hospitalisations et aux décès.
- Espoir de mieux protéger les populations vulnérables, en particulier les enfants et les personnes âgées.
- Espoir aussi d’ouvrir la voie à une nouvelle génération de stratégies de santé publique, plus respectueuses de l’environnement et plus durables.
La Réunion, pionnière d’une révolution sanitaire
Si les résultats s’avèrent concluants, La Réunion aura marqué une étape décisive dans la lutte contre les moustiques. L’île ne serait plus seulement un territoire frappé par les épidémies, mais deviendrait aussi un territoire pionnier dans l’innovation scientifique et la prévention sanitaire.
Avec ce projet, la recherche réunionnaise démontre qu’elle peut non seulement répondre aux défis locaux, mais aussi proposer des solutions applicables à l’échelle internationale.
En attendant les conclusions en 2027, une certitude s’impose : le combat contre les moustiques change de visage, et La Réunion est en première ligne.
Source : cirad.fr
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