À La Réunion, le fléau de l’alcoolisation massive reste souvent relégué au second plan dans le débat public, bien qu’il représente un enjeu de santé majeur. En juin 2025, l’Agence Régionale de Santé (ARS) a tiré la sonnette d’alarme à travers une enquête inédite, révélant une réalité alarmante : si la consommation quotidienne d’alcool est plus faible qu’en métropole, elle est bien plus concentrée, et parfois extrêmement excessive, chez une minorité de consommateurs.
Commandée par l’ARS, l’étude baptisée ACMA974 (Alcoolisation Chronique Massive à La Réunion) s’est déroulée entre novembre 2023 et août 2024, en lien avec des structures addictologiques locales. Elle a permis de mieux cerner le profil des personnes souffrant d’une dépendance sévère à l’alcool. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : 10 % des consommateurs réunissent à eux seuls 69 % des volumes d’alcool consommés sur l’île. Une concentration extrême qui donne à voir un phénomène certes minoritaire en termes de population, mais massif et chronique en intensité.
Dans certains cas extrêmes, les personnes interrogées déclarent consommer jusqu’à 16 verres standards par jour, soit plus de 100 verres par semaine. Une quantité vertigineuse qui dépasse largement les seuils de risque fixés par les autorités sanitaires et qui expose à des effets dévastateurs sur la santé physique et mentale.
Loin d’être un simple fait divers de société, l’alcoolisation massive a des répercussions concrètes et mesurables sur le système de santé réunionnais. On constate une fréquentation accrue des urgences hospitalières, une surmortalité par cirrhose et cancers liés à l’alcool, ainsi qu’une prévalence inquiétante de troubles cognitifs et psychiatriques. L’un des aspects les plus graves reste la survenue du syndrome d’alcoolisation fœtale, conséquence d’une consommation excessive d’alcool pendant la grossesse, aux effets souvent irréversibles sur l’enfant.
Face à cette situation préoccupante, l’ARS a annoncé la mise en place dès juillet 2025 d’une Communauté territoriale d’addictologie. Ce dispositif vise à renforcer la coordination entre les acteurs sanitaires, médico-sociaux, associatifs et institutionnels, afin de fluidifier les parcours de soins, de mutualiser les ressources et d’assurer un meilleur accompagnement des personnes souffrant d’addictions sévères.
Il s’agira notamment de faciliter l’entrée dans les parcours de soin, d’améliorer le dépistage précoce, d’étendre la formation des professionnels et de renforcer la prévention en amont, notamment dans les quartiers prioritaires. Ce travail de fond devra aussi s’appuyer sur une sensibilisation du grand public, encore trop peu informé sur les seuils de danger liés à la consommation d’alcool.
À La Réunion, la perception du phénomène est biaisée : on parle de « buveurs excessifs » sans toujours mesurer l’ampleur de la détresse sociale et psychologique qui se cache derrière. C’est pourquoi l’alerte lancée par l’ARS constitue une étape cruciale vers une prise de conscience collective. Elle invite à dépasser les stigmatisations et à considérer la lutte contre l’alcoolisation massive comme une priorité transversale, impliquant les secteurs de la santé, de l’éducation, de la justice, mais aussi de la famille et du travail social.