Le 10 juin, la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs a auditionné plusieurs influenceurs français au profil très médiatisé. La séance, marquée par de vives tensions et des échanges parfois surréalistes, a mis en lumière le fossé grandissant entre les codes des plateformes numériques et les exigences du débat démocratique.
Ils sont suivis par des centaines de milliers, parfois des millions d’abonnés. Alex Hitchens, Nasdas, Manon et Julien Tanti, AD Laurent : tous ont été conviés à l’Assemblée nationale pour répondre des contenus qu’ils publient sur les réseaux sociaux, dans un contexte de préoccupations croissantes concernant l’impact des plateformes, notamment TikTok, sur les jeunes publics.
Cette commission d’enquête, initiée par des parlementaires inquiets des effets de l’algorithme de TikTok et de la viralité de contenus jugés problématiques, a donné lieu à une séquence inédite. Jamais auparavant autant d’influenceurs controversés n’avaient été convoqués au Palais Bourbon.
Alex Hitchens : entre démonstration oratoire et mise en scène du conflit
Le Youtubeur Alex Hitchens a ouvert l’audition dans un style provocateur, assumant un ton professoral et critique à l’égard de ses interlocuteurs.
« Je suis venu donner un cours de rhétorique, de droit et de répartie », a-t-il déclaré, avant de reprocher aux députés leur imprécision : « Je ne pensais pas tomber sur des questions aussi floues. »
Moins de vingt minutes après le début de son intervention, il a quitté la visioconférence de manière abrupte, lançant un « Au revoir et bonne journée » qui a laissé la commission médusée.
Nasdas : les dérives d’un influenceur dépassé par sa notoriété
Plus mesuré, Nasdas, figure emblématique de Snapchat, a dû répondre à des accusations graves formulées par la députée écologiste Léa Balage El Mariky. Celle-ci a évoqué « des menaces au couteau, des actes de racisme, de harcèlement, d’exploitation ou encore des violences conjugales ».
Visiblement mal à l’aise, l’influenceur a reconnu les dérives de sa notoriété et affirmé avoir quitté les réseaux sociaux pour des raisons de santé mentale :
« Il y a beaucoup de choses que je n’arrive plus à maîtriser. »
Mais il a aussi revendiqué sans détour son succès économique :
« Moi, je gagne des centaines de milliers d’euros, et vous ? », illustrant, en creux, la fracture entre le champ politique et celui de l’économie numérique.
Le couple Tanti : entre justification et tensions
Les influenceurs de téléréalité Manon et Julien Tanti, habitués à exposer leur vie privée, y compris celle de leurs enfants, ont vivement contesté les critiques de la commission.
« Ce ne sont pas mes vidéos qui sont humiliantes, ce sont vos propos », a lancé Manon Tanti, interpellée sur l’instrumentalisation de sa vie familiale.
Elle a précisé que TikTok ne représentait « qu’1 % de ses revenus », tandis qu’une tension palpable s’est installée entre les deux membres du couple, allant jusqu’à une dispute en séance.
AD Laurent : contenus sexualisés et cadre légal
Dernier à être entendu, AD Laurent a tenté de minimiser la portée de ses vidéos à caractère sexuel ou misogyne, expliquant que ses contenus relevaient d’un style « trash assumé ».
Les députés l’ont fermement rappelé au droit, soulignant sa responsabilité face à un public souvent très jeune. Interrogé sur son bannissement de TikTok, il a répondu de manière évasive.
Une audition révélatrice de l’ampleur du fossé culturel
Si l’objectif de cette commission était de mieux comprendre les mécanismes de TikTok et leur impact sur la jeunesse, la séance du 10 juin a surtout exposé une fracture culturelle. D’un côté, des élus cherchant à poser un cadre démocratique à une sphère numérique en expansion rapide ; de l’autre, des créateurs de contenus, parfois arrogants, parfois dépassés, mais toujours porteurs d’une nouvelle forme de pouvoir médiatique.
L’audition a également soulevé une question de fond : comment réguler un écosystème où les logiques de performance, d’audience et de profit priment souvent sur l’éthique et la responsabilité ?