La polémique déclenchée par une influenceuse métropolitaine ayant qualifié Saint-Pierre d’« archi moche » continue d’alimenter les discussions. Derrière cette critique jugée méprisante par de nombreux Réunionnais, un malaise plus profond ressort : celui du décalage persistant entre l’image idéalisée que certains se font des Outre-mer et la réalité quotidienne des habitants.
Dans sa chronique « l’image du jour », Jeanne Belanyi, directrice de l’observatoire des Outre-mer de la fondation Jean Jaurès, décrypte ce qui se cache derrière cet incident devenu symptomatique.
Quand la carte postale se heurte à la vraie vie
L’influenceuse, venue découvrir La Réunion, a filmé quelques rues de Saint-Pierre avant de les qualifier publiquement d’« archi moches ». Un commentaire qui aurait pu passer inaperçu… mais qui a rapidement enflammé les réseaux sociaux.
Pour Jeanne Belanyi, ce n’est pas l’avis personnel qui choque le plus, mais ce qu’il révèle : la persistance d’un regard exotisant, qui attend des îles qu’elles correspondent au fantasme du vacancier — cocotiers, lagon turquoise, soleil permanent.
Cette vision réductrice laisse peu de place à la réalité : celle d’une ville vivante, complexe, urbaine, façonnée par son histoire et ses habitants.
Saint-Pierre, comme toutes les villes, est une histoire avant d’être une image
Jeanne Belanyi rappelle que les villes d’Outre-mer ne sont pas figées dans une esthétique tropicale fantasmée.
Elles portent :
- une histoire sociale marquée, souvent douloureuse,
- une architecture hybride, héritée des différentes périodes coloniales, industrielles et contemporaines,
- des défis urbains réels : aménagement, cohésion sociale, développement durable, mobilité,
- une identité vivante, façonnée par la population locale avant tout.
Réduire Saint-Pierre à une « carte postale ratée » revient à ignorer cette richesse. C’est là que naît la fracture : entre ce que certains attendent de ces territoires et ce qu’ils sont réellement.
Le poids des clichés dans la perception de l’Outre-mer
Selon Belanyi, les Outre-mer sont souvent coincés entre deux visions extrêmes :
- l’île paradis, douce, colorée, dépaysante ;
- l’île problème, marquée par les crises et les tensions.
Or, la réalité se situe à l’intersection des deux : un territoire avec des forces, des fragilités, une culture unique et une identité en mouvement.
Cette tension identitaire n’est pas anodine : elle influence le regard porté sur les habitants, leur vécu et même les politiques publiques qui les concernent.
Une fracture révélatrice des limites de la République
Dans son ouvrage « Les OM sont-ils encore dans la République ? », Jeanne Belanyi questionne le lien entre l’Hexagone et les territoires ultramarins.
Les inégalités persistantes, les décalages culturels et les incompréhensions historiques nourrissent un rapport parfois asymétrique.
La polémique de Saint-Pierre, bien qu’anecdotique en apparence, vient souligner un malaise plus profond :
👉 les Outre-mer continuent d’être observés à travers un filtre déformant, loin des réalités sociales et géographiques vécues sur place.
Ce débat rappelle que les territoires ultramarins méritent d’être regardés, compris et respectés pour ce qu’ils sont : des villes vivantes, des populations fières, des identités multiples — pas des décors exotiques.
Source : cpassiloin




















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