Le 20 décembre 1848, une date gravée dans la mémoire réunionnaise, Joseph Napoléon Sébastien Sarda Garriga, commissaire général de la République, proclame à Saint-Denis l’abolition définitive de l’esclavage à La Réunion, alors appelée île Bourbon. Ce jour-là, environ 62 000 femmes et hommes accèdent officiellement à la liberté, malgré des mois de tensions avec les colons sucriers et de fortes résistances économiques.
Un décret national, une application locale sous tension
L’abolition découle du décret du 27 avril 1848, porté par Victor Schœlcher, qui met fin à l’esclavage dans les colonies françaises. Mais à La Réunion, son application est retardée. Nommé pour faire respecter la loi républicaine dans les colonies éloignées, Sarda Garriga arrive le 13 octobre 1848 après un long voyage.
Face aux planteurs, notamment du Nord, qui demandent un report jusqu’à la fin de la campagne sucrière, il tranche : le décret est promulgué le 18 octobre, avec effet au 20 décembre 1848. Un choix politique ferme, assumé, pour éviter toute remise en cause du principe d’égalité.
Préparer la liberté pour éviter le chaos
Conscient des risques de soulèvements et d’effondrement économique, Sarda Garriga engage une stratégie de transition. Dès le 24 octobre, il rencontre une délégation d’esclaves à Saint-Denis. Il impose ensuite des contrats de travail obligatoires d’un an aux nouveaux libres, sous peine de prison — une mesure vivement critiquée, mais présentée à l’époque comme nécessaire à la stabilité de l’île.
Entre mi-novembre et mi-décembre, il parcourt La Réunion pour expliquer le décret, rassurer colons et esclaves, et appeler au calme et au travail. Le 19 décembre, la proclamation officielle est affichée dans l’île. Cette préparation minutieuse permettra d’éviter des troubles majeurs.
« Vous êtes libres »
Le 20 décembre 1848, devant la préfecture de Saint-Denis, Sarda Garriga prononce une allocution restée célèbre :
« Mes amis, les décrets de la République française sont exécutés : vous êtes libres… »
Une scène immortalisée en 1849 par le peintre Alphonse Garreau, représentant le commissaire tenant d’une main le décret, de l’autre des outils — symbole d’une liberté assortie d’obligations. Sans violences notables, près de 62 000 personnes deviennent libres ce jour-là.
Des conséquences lourdes et durables
L’abolition ne signifie pas l’égalité économique. Les anciens esclaves, devenus « nouveaux libres », doivent signer des contrats avec leurs anciens maîtres. Les planteurs, eux, sont indemnisés à hauteur de 671 francs or par esclave, soit l’équivalent de près de 200 millions d’euros actuels.
Pour maintenir l’économie sucrière, l’île bascule vers l’engagisme : recrutement massif de travailleurs indiens (65 000 dès 1859), africains et chinois, souvent soumis à des conditions proches de l’esclavage. Cette transition bouleverse la démographie, les rapports sociaux et l’histoire économique de La Réunion.
Un héritage toujours vivant
Depuis 1983, le 20 décembre est jour férié à La Réunion : la Fèt Kaf. Concerts de maloya, cérémonies, discours et hommages rappellent l’émancipation, les résistances — comme le marronnage — et la construction d’une identité créole plurielle.
Si le rôle de Sarda Garriga est parfois critiqué pour les contrats contraints imposés aux affranchis, son action demeure centrale dans l’application effective de l’abolition. Cette date marque un tournant historique majeur, fondateur de la société réunionnaise contemporaine.




















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