À La Réunion, la souffrance psychique des jeunes atteint un niveau critique, sans provoquer le sursaut collectif qu’elle devrait imposer. Selon des données récentes basées sur l’échelle PHQ-9, 32 % des 15-29 ans présentent des symptômes dépressifs, un taux largement supérieur à la moyenne nationale (25 %) et à celui observé dans les régions hexagonales les plus épargnées (19 à 22 %). Dans l’ensemble des Outre-mer, la situation est encore plus alarmante, avec 39 % de jeunes concernés. Une crise profonde, durable, et trop souvent banalisée.
Des chiffres accablants, un système de soins à bout de souffle
Les chiffres deviennent vertigineux lorsqu’on les croise avec la précarité sociale. Une étude conjointe de l’Institut Montaigne, de la Mutualité française et de l’Institut Terram révèle que 47 % des jeunes réunionnais en grande difficulté économique souffrent de dépression, contre seulement 16 % chez ceux qui ne rencontrent pas de problèmes financiers majeurs.
Face à cette détresse massive, le système de soins est structurellement saturé. Les Centres médico-psychologiques (CMP) manquent de professionnels, les psychologues libéraux affichent des délais d’attente de plusieurs mois, et les familles les plus précaires n’ont souvent ni les moyens financiers ni la mobilité nécessaires pour accéder aux soins. Résultat : des troubles qui s’aggravent, se chronicisent, et s’installent dans le silence.
Précarité, addictions, violences : un cocktail explosif
À La Réunion, la dépression juvénile ne peut être dissociée de son contexte social. Près de 40 % des moins de 25 ans sont au chômage, beaucoup vivent dans des logements dégradés, avec une insécurité alimentaire persistante. Dans ces conditions, la santé mentale devient une variable d’ajustement.
Les addictions jouent un rôle central dans cette spirale. Le zamal, consommé massivement par les jeunes en situation de rupture scolaire ou professionnelle, est étroitement lié à l’isolement, au décrochage et aux troubles anxio-dépressifs. L’alcool, souvent présent dans l’environnement familial, perpétue un cycle de violences et de souffrances psychiques. Les données locales montrent d’ailleurs une hausse de 28 % des troubles dépressifs majeurs en un an, un signal d’alerte majeur.
Tabous culturels ou échec des politiques publiques ?
La question dérange : pourquoi cette crise reste-t-elle si peu visible ? Une partie de la réponse réside dans les tabous culturels encore très présents. La souffrance psychologique est souvent minimisée, qualifiée de “passage difficile”, voire intégrée à une forme de normalité insulaire. La famille élargie, censée protéger, peut aussi masquer les violences et empêcher la parole.
Mais réduire le problème à la culture serait trop simple. Les politiques publiques, largement conçues à l’échelle hexagonale, peinent à s’adapter aux réalités ultramarines. Les dispositifs de prévention restent sous-financés, les campagnes peu adaptées linguistiquement et culturellement, et les structures spécialisées pour les jeunes insuffisantes, malgré des initiatives locales comme la lutte contre les addictions.
Vers un rattrapage ou une génération sacrifiée ?
Avec près de 4 jeunes ultramarins sur 10 touchés par la dépression, la question n’est plus de savoir s’il faut agir, mais comment et à quelle vitesse. De nombreux acteurs appellent à un plan Outre-mer spécifique pour la santé mentale des jeunes : création de CMP dédiés, renforcement des CSAPA, campagnes de prévention en créole, interventions précoces dès l’école primaire.
Sans réponse forte et coordonnée dès 2026, cette crise risque de transformer une génération déjà fragilisée en adultes durablement marqués, avec des conséquences sociales, économiques et humaines majeures pour l’avenir de La Réunion. Le silence, lui, continue de coûter cher.
Source : https://www.france-assos-sante.org/
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