À La Réunion, les violences conjugales ne sont plus une statistique abstraite mais une urgence sociale quotidienne. Chaque année, plus de 4 500 victimes sont recensées, dont 85 % de femmes, plaçant l’île parmi les territoires les plus touchés de France. En 2024 seulement, trois féminicides ont endeuillé le département, rappelant brutalement que le danger est bien réel, souvent invisible, et trop souvent ignoré.
Des chiffres qui révèlent une crise profonde
L’indice global de violences conjugales atteint 15 % à La Réunion, contre 9 % en métropole. Dans la majorité des cas, les violences sont commises par un conjoint ou un proche, dans un cadre intime où la peur et la dépendance économique enferment les victimes dans le silence.
Au tribunal de Saint-Pierre, ces affaires représentent près de la moitié des dossiers traités, un engorgement révélateur de l’ampleur du phénomène.
En dix ans, vingt féminicides ont été recensés sur l’île. Derrière ces chiffres, des vies brisées, des enfants traumatisés et une société qui peine encore à regarder la réalité en face.
Justice saturée, associations à bout de souffle
Face à l’explosion des signalements, la justice manque de moyens. Hébergements d’urgence insuffisants, pénurie de psychologues, suivi judiciaire fragile : la chaîne de protection est souvent défaillante.
Les associations, comme l’Arajufa, voient leur fréquentation tripler en quinze ans, accueillant aujourd’hui jusqu’à trente victimes par semaine, souvent jeunes, précaires et sans solution de transport ou de logement.
De nombreuses voix dénoncent aussi des libérations rapides d’agresseurs et un manque de dispositifs efficaces pour prévenir les récidives, alimentant un sentiment d’abandon chez les victimes.
Un problème culturel ou politique ?
La question divise : s’agit-il d’un machisme profondément enraciné, renforcé par des tabous familiaux et sociaux, ou d’un échec des politiques publiques, pensées à l’échelle nationale mais mal adaptées aux réalités locales ?
La violence économique joue un rôle central : sans revenus, sans logement, beaucoup de femmes n’ont tout simplement pas la possibilité de partir.
Dans certains foyers, la famille élargie agit comme un écran, minimisant les violences au nom de la cohésion sociale, au détriment de la sécurité des victimes.
Rompre le silence, maintenant
Deux nouvelles maisons d’accueil ont récemment ouvert, mais quatre autres restent attendues pour répondre aux besoins. Les associations réclament plus de moyens, mais aussi une sensibilisation en créole, pour toucher toutes les couches de la population.
Comme le résume une survivante : « On m’a appris à me positionner par rapport à l’inacceptable. »
Sans action forte, locale et durable, le silence continuera de tuer.






















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